La morgue de l’HUEH déborde

Augmentation de la demande, diminution de l’offre, tel pourrait être le principe économique approprié pour parler de la morgue de l’HUEH, s’il s’agissait d’une entreprise commerciale. Elle déborde de cadavres. La plupart d’entre eux sont des victimes de l’insécurité et particulièrement des « morts par balle ».

On est jeudi, il est presque midi.  Naturellement, des malades traînent par terre, pour une raison ou pour une autre, dans la cours de l’hôpital général. Cela devient l’image habituelle de l’institution. Tout le monde est pressé, encore plus le directeur de l’hôpital ; il y a plein de cas d’urgence à gérer.  Brusquement, un camion remplis de cadavres et couvert d’un grand tapis passe et envahit tout l’espace d’une odeur qui fait retourner l’estomac.

L’odeur de la morgue est beaucoup plus forte aujourd’hui par rapport à hier. Cela fait deviner qu’il y a forcément un problème. On entend de loin des tambours et une sorte de rythme vaudou, bref, une cérémonie à l’intérieur des principales chambres de la morgue. «  C’est l’oeuvre de bienfaisance de l’organisation Saint-Luc qui est venue nous libérer de quelques cadavres abandonnés. Ils le font tous les jeudis », explique M. Pierre Yves Jovin, directeur de la morgue. Ce sont ces cadavres qui étaient transportés dans ce camion.

Le responsable se dit confronté à une situation catastrophique. La morgue fait face à d’énormes déficits, deux de ses salles sont défectueuses, au moment où l’institution devrait plutôt redoubler ses services parce qu’elle reçoit un peu plus de cas. Cependant, même si les salles ne fonctionnent pas, cela ne veut pas dire qu’elles ne reçoivent pas de corps. Au contraire, il y en a même un peu trop. 

De plus, toujours selon M. Jovin, des cadavres sont là depuis septembre. Le directeur dit avoir même remarqué des vers et des mouches. Dur combat quotidien contre ces insectes. C’est ce qui explique cette odeur qui accueille les gens même à plusieurs dizaines de mètres des « chambres froides ». Difficile pour une personne qui n’est pas habituée à pénétrer dans ces lieux.

Les restes d’un policier

« Parmi les cadavres qui pourrissent, figurent un grand nombre de prisonniers ou des bandits tués par balle et apportés par la police », informe le directeur de la morgue, ajoutant que « ces derniers ne peuvent pas être remis ou inhumés sans l’autorisation de la justice ». Etonnamment, un policier est à la morgue de l’HUEH depuis le 31 décembre 2011. Il a fallu trois mois d’enquête, avant de savoir qu’il s’agissait d’un policier.

« Les registres d’admission de la morgue de l’HUEH regorgent de victimes de « ceux qui tirent pour tuer », pour citer la note de protestation des institutions et associations de la société civile contre l’insécurité et l’impunité, publiée le 31 mars dernier. 56 des 90 cadavres admis à la morgue de l’HUEH pour le mois de mars, sont tués par balle. En février, il y en a eu 62 cas de morts par balles sur 84, et 35 sur 79 cas en janvier.

A en croire les propos de M. Jovin, 8 personnes tuées par balles ont été reçues samedi. C’est un record. Certains d’entre eux sont de simples citoyens tués par des bandits, d’autres des « bandits » emmenés par la police elle-même, d’autres encore sont morts à la salle des urgences.

En effet, toutes les victimes de l’insécurité qui arrivent à l’HUEH n’atterrissent pas directement à la morgue. Il y  en a qui passent par la salle des urgences. La plupart d’entre ces derniers y sortent la vie sauve. Les responsables de cette salle confient que de plus en plus de cas de « plaies par balle » sont reçus ces dernières semaines. Le docteur Chenet Torrilus, interne à la salle de chirurgie, en a vus beaucoup. Il fait remarquer que des blessés y sont également conduits par la police elle-même, dans le cadre des opérations menées par celle-ci.

« Deux à trois cas similaires sont reçus en moyenne par jour », révèle un autre docteur requérant l’anonymat. Celui-ci dit constater que la plupart de ces cas, proviennent du Centre-ville, principalement de la rue des Casernes, de la rue Saint-Honoré, de Portail Léogane, du Champ de Mars et de Cité Soleil. Et l’HUEH n’est pas le seul endroit qui en reçoit.

Le dernier bilan fourni par le directeur de l’hôpital général, le Docteur Jacques Pierre Pierre, fait état de 80 cas admis à la salle des urgences pour le mois de mars. 56 d’entre eux sont des « plaies par balle ». Le RNDDH rapporte quant à lui, que plus de 147 personnes, dont 130 par balles ont été victimes de l’insécurité du 1er janvier au 14 mars 2012. 

Destination Aquin, un grand festival

Cette année, le festival Destination Aquin a pris une dimension étonnante. Un vrai festival. Les participants ont eu droit à trois jours d’activités intenses, au choix. Un grand nombre d’artistes ont fait le plaisir de milliers de festivaliers. L’objectif des organisateurs, pour cette année, a été atteint, et l’attente des festivaliers comblée. Aquin cherche désormais à s’aménager, et le CIAT dit OUI.

Un festival pluridisciplinaire

La pluridisciplinarité du festival exige qu’elle se soit déroulée sur plusieurs lieux, dans un esprit de rencontre entre la population et les festivaliers. Outre les divertissements, des activités sont réalisées pour valoriser certains lieux (sites, baies, etc.) et  d’autres pour attirer l’attention des autorités sur les bonnes choses qu’offre la nature.

Destination Aquin s’adresse à toutes les catégories d’âge sur trois journées de fête. Contes dits aux enfants, cinéma, lecture scénique, activités sportives, expositions, excursions, animations de rues ont fait le bonheur des uns et des autres. Sous le ciel tantôt clair, tantôt nuageux, toujours peu étoilé mais éclairé par la pleine lune, la population a répondu en grand nombre les trois soirs sur la place d’armes. Les spectacles  nocturnes ont été exquis par leur diversité.  Des enfants aux flûtes, aux prestations musicales des artistes (haïtiens et étrangers) reconnus internationalement en passant par les danses et musiques traditionnelles, chacun en est sorti satisfait.

« Il y a eu beaucoup de difficultés, mais le même plaisir », a commenté la présidente de Fondation Aquin Solidarité (FAS), Magali Comeau Denis, à l’ouverture du festival, jeudi soir. Pour le maire d’Aquin, Destination Aquin est tout simplement un festival international. Ce dernier s’est réjoui de ce que cette fête ait pu réunir de nombreux amis étrangers et haïtiens de la diaspora. Le premier citoyen de la commune d’Aquin a estimé que les autorités haïtiennes devraient prendre en exemple l’union du comité organisateur pour faire avancer le pays. « Nous pouvons changer le pays, donnons-nous la main pour arriver », a-t-il dit.

Magali Comeau Denis est très fière de l’histoire d’amour et de solidarité qui unit les Aquinois. Aquinoise elle-même, elle a pris conscience de la tendance de la destination à voyager à l’intérieur du pays, durant les périodes de vacances.  « D’où l’organisation de ce festival pendant la fête de Pâques ». 

C’est tout un programme de développement en faveur de la ville d’Aquin que constitue ce rendez-vous annuel, selon  Mme Denis, qui souhaite la même « prise de conscience » à l’échelle nationale où elle constate une « fidélité à la misère ».

C’était l’occasion d’offrir à tous l’accès à la culture et aux manifestations culturelles de qualité, selon l’ex-ministre de la Culture, Magali Comeau Denis. « Les rencontres entre les jeunes espoirs d’Aquin avec les artistes confirmés les aident à sortir de l’isolement total », a souligné celle qui privilégie la construction de l’être sur la construction de l’avoir. « La diversité et la qualité du contenu font le succès de ce festival », s’est-elle félicitée.

Du point de vue organisationnel, les responsables ont encore exprimé leur fierté. « Cela répond au standard international d’organisation, dans une ville démunie », a fait remarquer Mme Denis, dénonçant du même coup l’incompréhension de certaines institutions par rapport à leur travail de qualité. Des problèmes avec l’ED’H dans les démarches pour l’électricité, l’envahissement des rues par des petits marchands ont été, entre autres,  abordés. Cependant, on a pu constater une très bonne qualité technique (son, éclairage, etc.).

La population a bénéficié, à l’occasion, de la création d’emplois temporaires et de la sensibilisation à l’hygiène publique. Beaucoup de travaux ont été réalisés pour préparer la ville à recevoir le festival. De plus, les 3 km de routes asphaltées et l’éclairage des rues sont des retombées de cette initiative.

 « C’est  un festival prestigieux, qui coûte très cher et de plus en plus cher», a nuancé Mme Denis, qui prépare déjà le rapport complet de l’événement pour le mettre à la portée du public. Environ 9 millions de gourdes ont été allouées à la réalisation de l’ensemble des activités, avec le support du CIAT, des ministères de la Culture, des Finances, des Sports et des Haïtiens vivant à l’étranger, ainsi que les ambassades des Etats-Unis, du Canada et de la France, la FOKAL,  la DINEPA, l’Institut français, Vorbe et Fils, Solidarité aquinoise de Montréal, pour ne citer que ceux-là, ont également contribué à faire de Destination Aquin « l’évènement annuel à ne pas rater ».

Un plan d’aménagement

« Il n’y a aucune infrastructure. Nous bricolons et inventons tout  avec l’accompagnement de la municipalité », a indiqué Michel Oriol, secrétaire exécutif du Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT), lors de la présentation du plan d’aménagement de la ville d’Aquin, vendredi. Le CIAT est un important partenaire dans l’organisation du festival depuis des années. Cette institution créée en 2009 traite de la question d’urbanisme et d’aménagement du territoire.

Jean Michel Morin, collaborateur du CIAT, explique que l’institution travaille à la constitution de documents d’urbanisme. L’ex-collaborateur du MTPTC cherche, pour l’instant, la consolidation juridique de ces documents. La ville d’Aquin a été choisie comme pilote non seulement parce que c’est une commune qui pourra donner des éléments de référence, mais aussi suite au plaidoyer de la Fondation Aquin Solidarité (FAS).

Dans cette étude financée par la Banque mondiale, il est prévu  un aménagement intégré du territoire qui souligne à la fois les potentialités et les menaces. Aquin est l’une des villes d’Haïti exposée aux risques sismiques, aux inondations, à l’érosion et à des glissements de terrain. De plus, les initiateurs cherchent à éviter le développement anarchique et informel des villes, où les gens vivent dans des conditions catastrophiques.

Des réflexions sont ouvertes sur l’établissement complet de ces documents. Déjà, tous les intéressés  sont invités à soumettre leurs propositions. Le maître d’ouvrage restera le CIAT, qui, par la suite, se chargera de retrouver les fonds nécessaires à la concrétisation du plan. Le CIAT veut se démarquer des priorités gouvernementales, en entamant lui-même des recherches isolées de fonds, par la mobilisation des différentes fondations partenaires.