« On serait à l’époque de la récolte du café et de plusieurs autres denrées, si Isaac n’avait pas tout ruiné », confie cette responsable d’organisation de femmes qui n’a plus les moyens d’aider les voisines qui viendront certainement frapper à sa porte. Assis à côté d’elle, en maillot orange et bleu et pantalon noir, teint foncé, crâne rasé, Jules Elère, professeur d’école, regrette que la majorité des parents de la zone ne pourront pas envoyer leurs enfants à l’école cette année, si aucune mesure n’est prise par les autorités pour accompagner ces derniers.
Dans leur entourage, 84 maisons ont été endommagées et 3 autres complètement détruites. Les troncs d’arbres déracinés par la tempête longent encore le bord de la route qui mène à cette section communale de Jacmel, située à une vingtaine de kilomètres du centre-ville. Les habitants de ce quartier craignent que la période de famine qu’ils sont entrain de vivre actuellement, ne deviennent insupportable. Les produits de première nécessité déjà en hausse des prix sur le marché deviennent inaccessibles à ces habitants qui n’ont plus d’activité économique. Très peu de paysans ont eu assez de semences en réserve pour refaire leurs jardins, de façon à espérer une prochaine récolte dans trois mois, au moins. Pour ne pas rester les bras croisés, enfants et adultes s’adonnent à la fabrication de charbon de bois à longueur de journée.
Située à près de 800 mètres d’altitude, Cap rouge n’est pas la seule localité dans le Sud-Est à présenter l’aspect d’une zone en état d’urgence. Tout le département, de par sa situation géographique, est très exposé au passage des intempéries. Isaac y a fait 6 morts, 1 disparu et 15 blessés, selon un rapport du Centre d’opération d’urgence départemental, qui fait aussi état de 15 375 familles sinistrées, 1 221 maisons inondées, 2 681 maisons détruites et 11 473 maisons endommagées.
Dans les dix communes du département du Sud-Est, le secteur agricole est, sans aucun doute, le plus affecté par le passage de la tempête. Les cultures les plus touchées sont les plantations de banane plantain, de café, d’arbres fruitiers (avocatiers, arbres véritables, etc.) et celles de saisons (haricot, pois Congo, cultures maraichères, tubercules, etc.), selon une évaluation de la Table sectorielle de concertation du secteur agricole du Sud-Est (TSCSASE). Une perte agricole totale de 4 506 hectares de plantations a été enregistrée, d’après une étude de la Coordination régionale des organisations du Sud-Est (CROSE), selon laquelle les communes les plus touchées sont Marigot, Jacmel, Belle Anse, Cayes Jacmel et Côtes-de-fer. En ce qui à trait à l’élevage et à la pêche, les pertes sont tout aussi considérables : 62 297 têtes de bétail (caprins, bovins, ovins, porcins, équins et volailles) ont été emportés dans l’ensemble du département, notamment dans a partie est (Belle-Anse, Thiotte et Anse-à-Pitres). Dans les huit communes côtières du département, d’énormes pertes en matériel de pêche (nasses, filets, tremails, corallins, yacht, et moteurs) ont été enregistrés.
Un état des lieux réalisé par la Confédération des usagers pour le développement du Sud-Est a mis en évidence les dégâts importants causés par la tempête tropicale sur le réseau des systèmes irrigués du département. Les conséquences de ces dommages peuvent aller jusqu’à rendre ce réseau entièrement dysfonctionnel, selon un rapport de la CROSE qui révèle aussi que des parties du réseau remplies de sédiments peuvent entraîner l’arrêt de l’alimentation en eau de blocs d’irrigation entiers, ce qui demande beaucoup de travail pour les rendre à nouveau fonctionnels. Enfin, 282,6 kilomètres de route sont dégradés par le cyclone.
« La tempête Isaac continue encore dans le Sud-Est. Il n’y a pas d’appui réel du gouvernement à l’approche de la rentrée scolaire. Les dispositions prévues par ce dernier n’ont pas vraiment atterri », se désole l’ASEC de Bas Cap Rouge, Ebel Pierre Paul, qui est aussi coordonateur de la Confédération des usagers pour le développement du Sud-Est. Pour lui, le recul d’un mois de la rentrée scolaire n’a servi à rien.
Seulement 10 millions de gourdes ont été allouées au département pour compenser les dégâts causés par Isaac dans tous les secteurs. « 70% de ce montant a servi à la réhabilitation des routes », souligne M. Pierre Paul, qui estime que les investissements dans le secteur agricole, comme dans des programmes d’irrigation et de conservation de sol, sont beaucoup plus urgents.
Ce dernier fait aussi remarquer que, faute de moyens, les travaux déjà réalisés par la Direction départementale agricole (DDA) au niveau des systèmes d’irrigation sont insignifiants par rapport au degré d’affectation de ces derniers. Les organisations locales et internationales ont effectué plusieurs enquêtes et études, mais aucune action concrète n’a été posée jusqu’ici, selon l’ASEC de Bas Cap Rouge.