Ils passent la nuit devant l’ambassade, rêvent de vivre au Brésil

Depuis que l’ambassadeur du Brésil, José Luiz Machado Costa, a annoncé, en mai, qu’il n’y avait plus de restriction sur le nombre de visas permanents à délivrer aux Haïtiens désireux d’immigrer sur son territoire, les longues files devant le consulat brésilien à Pétion-Ville deviennent permanentes.

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Midi. Un brouhaha à l’angle des rues Clerveaux et Darguin attire l’attention de tous les passants. Sous un soleil de plomb, des dizaines de compatriotes sont rassemblés devant l’Hexagone, l’élégant immeuble hébergeant l’ambassade du Brésil à Pétion-Ville. Tous sont en quête d’un visa permanent.

Ce mercredi 4 septembre, une quinzaine de personnes ayant réussi à prendre rendez-vous par téléphone ont pu franchir la porte d’entrée de l’ambassade dès huit heures trente du matin. Les autres requérants forment une longue file qui s’embrouille et se reforme de temps en temps en attendant que le consul leur fasse grâce comme cela arrive quelquefois. Des affiches collées au mur indiquent pourtant que seules les personnes ayant pris rendez-vous par téléphone seront admises à l’intérieur du consulat. On invoque le désordre provoqué à l’entrée par certains appliquants…

Beaucoup téléphonent pourtant à maintes reprises au numéro indiqué pour la prise de rendez-vous. Sans succès. « Il paraît que le centre d’appel de l’ambassade reçoit 13 000 appels par jour, ce qui perturbe la ligne », chuchote un requérant, une enveloppe brune à la main contenant tous ses documents officiels.

Valise, cartable ou parasol sur la tête pour se protéger des rayons du soleil, les demandeurs de visa sont aujourd’hui en rage contre les responsables du consulat qui, selon eux, les méprisent. Les agents de sécurité disent avoir reçu l’ordre de ne laisser entrer personne, pas même un journaliste… Ils réclament que tout le monde fasse la queue, une exigence qu’ignorent les plus têtus qui n’hésitent pas à encombrer le passage. Un jeune homme en fureur jure que si le consul décide de faire entrer quelques requérants sans rendez-vous, il sera le premier à foncer à l’intérieur sans faire la queue.

C’est que les gens ont soif de ce visa de cinq ans qui leur permettrait d’étudier et de travailler légalement dans le plus grand pays d’Amérique du Sud. Certains viennent passer la journée et même la nuit à la rue Clerveaux depuis plusieurs semaines, en vain. « Le pays ne m’offre rien, j’aimerais aller voir ce qu’il y a ailleurs, scande une jeune fille dans la vingtaine. J’ai un voisin qui est parti récemment pour le Brésil, il travaille déjà et envoie de l’argent à sa famille ».

Si certains sont vraiment confiants qu’une vie meilleure les attend au Brésil, d’autres veulent tout simplement faire l’expérience de vivre dans un autre pays. « J’aimerais connaître le Brésil, voir la Coupe du monde de 2014, mais je ne peux pas me procurer un visa de touriste, confie un homme de 32 ans. Alors, je suis venu ici voir si je peux avoir un visa permanent ». Si les choses vont bien au Brésil, ce dernier pourrait peut-être y rester définitivement, mais pour le moment il veut seulement visiter, dit-il. « Je ne suis pas encore prêt à quitter mon pays pour aller vivre ailleurs, mais ça vaut la peine d’avoir ce visa, car on ne sait pas comment seront les choses à l’avenir », affirme ce technicien de la Croix-Rouge haïtienne.

« Il y a des gens ici qui n’ont même pas un passeport, commente un agent de sécurité. De plus, certains ont obtenu le visa depuis des lustres, mais ne peuvent même pas se payer le billet d’avion ». Un demandeur rétorque, tout de go: « J’aurais préféré vendre tout ce que j’ai et rester tout nu juste pour acheter le billet. »

Trois heures de l’après midi. Le soleil frappe moins dur. L’ombre de l’immeuble Hexagone remplit toute la rue Clerveaux. Les apparitions et disparitions du consul au seuil de la porte d’entrée redonnent de l’espoir. Les gens sont déterminés à attendre jusqu’au bout. « Celui qui persévèrera jusqu’à la fin sera sauvé », entend-on de la bouche d’une dame.

Certains essayent de cacher la nouvelle, mais elle se répand comme une traînée de poudre: « Hier soir, le consul a reçu les 17 personnes qui sont restées devant le consulat jusqu’à huit heures 30 du soir ». On pressent déjà que ce soir, beaucoup plus de gens vont y passer la nuit…

Huit heures 30 du soir. Le cortège présidentiel vient de passer à la rue Clerveaux, totalement éclairée par les projecteurs des entreprises de la place. La porte de l’ambassade est fermée, mais la plupart des demandeurs sont encore là, entassés sur l’escalier d’entrée de l’Hexagone, assis sur les trottoirs ou éparpillés dans tous les coins de la rue pour discuter fraternellement. Jusque là, personne n’a été servi.

« C’est un manque de respect !, hurle un jeune homme. C’est le consul qui encourage les gens à dormir ici par le fait qu’il en reçoit à 8 heures du soir. »

« Je viens ici depuis au moins 15 jours et j’y ai déjà dormi deux fois pour pouvoir être en tête de ligne le lendemain matin. Hier soir, j’étais la 18e personne et à peine me suis-je déplacée que le consul a fait grâce aux 17 qui étaient devant moi », poursuit ce jeune homme, s’estimant malchanceux.

10 heures du soir, les projecteurs sont éteints. Plusieurs requérants finissent par désister. Mais la plupart sont encore là, tenaces, déterminés à y passer la nuit… et à rêver de leur vie au Brésil, un jour…

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10 heures du soir, la plupart des requérants sont encore là, tenaces, déterminés à y passer la nuit…