Piégés en République dominicaine

Les travailleurs haïtiens doivent être entendus ce jeudi par la justice dominicaine. En attendant, ils vivent dans des conditions pénibles dans un vieil immeuble de San Cristobal, après des années passées à travailler très dur.

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L’émouvante histoire

 Dix heures du matin. Il fait 25 degrés C à San Cristobal, en ce dernier lundi de janvier. Les travailleurs haïtiens en difficulté sur le territoire dominicain – qui ont fait l’actualité la semaine dernière – s’activent à l’intérieur de la vieille remise transformée en centre d’hébergement depuis plus d’une semaine. Chacun s’affaire à une besogne personnelle pendant que Tania Jean, une jeune femme dans la vingtaine, fait bouillir le repas collectif dans une large chaudière installée sur un grand réchaud à gaz propane, juste à côté d’une pile de vaisselle sale.

Pour passer le temps, des jeunes hommes jouent aux cartes, indifférents aux enfants en bas âge qui font des allées et venues près du vieux camion en panne qui sert de chambre à Chantal Planquet, une femme enceinte. Le mari de Chantal et deux autres personnes y dorment également, tandis que les autres réfugiés se reposent dans des tentes éparpillées un peu partout dans la cour extérieure. La femme enceinte déplore les conditions dans lesquelles les enfants sont contraints de vivre, mais… a-t-elle le choix ?

A 30 ans, Francisco Ojilus – le mari de Chantal – serait le plus vieux de la bande. Il dit qu’il a passé presque la moitié de sa vie à travailler pour les entreprises de commercialisation de noix de coco « Coquera du Km 5 » et « Coquera Real », à San Cristobal, actuellement en faillite.

Le rude travailleur se souvient comme si c’était hier de son arrivée illégale à Santo Domingo en 1999, un peu à la manière des esclaves au temps de la colonie. « Un ami du patron est venu nous chercher directement à Maïssade, confie le « leader » du groupe. Arrivés à la frontière, nous avons été transportés dans un gros camion couvert d’un prélart, de manière à tromper la vigilance de la police. Nous ne savions même pas quel genre de travail nous allions faire.»

Ces travailleurs, qui gagnaient en moyenne 2 500 pesos par semaine sans aucun avantage social, ont habité depuis dans les locaux de « Coquera du Km 5 y Coquera Real ». « Nous y avons travaillé très dur, sans jour de repos ni aucun soin médical quand nous étions malades », rapporte M. Ojilus, les yeux remplis de tristesse.

« La compagnie étant alors à ses débuts, nous avons vécu dans des conditions infrahumaines, jusqu’à ce que nous ayons pu construire des maisonnettes avec nos propres moyens, dans la cour de la compagnie, ajoute le porte-parole du groupe, sous les regards approbateurs de ses compatriotes. Plusieurs fois, nous avons demandé de retourner chez nous, surtout après l’assassinat de l’un d’entre nous par un Dominicain, mais le chef n’a pas voulu ».

Des mineurs…

La majorité de ces travailleurs ont moins de trente ans. Pis encore, plusieurs d’entre eux sont mineurs. « Mes parents n’étaient pas d’accord, mais j’ai tenu à venir pour gagner un peu d’argent », confie Calixte, 15 ans, qui a dû abandonner ses études scolaires à Maïssade.

« Nous n’avons jamais été autorisés à quitter les locaux de la compagnie, c’est là que nous faisions tout », ajoute, l’air timide, Lucky Pierre, 17 ans, un jeune homme de haute taille aux cheveux tressés. Calixte et Lucky sont arrivés dans la compagnie il y a 10 mois après avoir franchi, eux aussi, la frontière de façon illégale.

Au moment de la faillite de la compagnie, les travailleurs n’en ont pas été informés. « Nous avons seulement constaté que le local était mis en vente, déplore Gérald, dans un créole mêlé d’espagnol. Lorsque plus tard, le propriétaire nous a demandé de partir, nous ne pouvions aller nulle part puisque nous n’avions pas un sou. En plus, il nous doit encore 4 mois d’arriérés de salaire.» Les travailleurs dominicains, eux, auraient été payés…

Plus loin, Gérald ajoute que le propriétaire a fait appel à des policiers pour leur faire quitter les lieux. « L’un d’entre nous a même reçu une balle au pied », dit-il.

Pas question de partir sans dédommagement

Sur ces 112 travailleurs haïtiens, 10 ont déjà été déportés et deux autres « enlevés » par l’immigration dominicaine. Après avoir passé 40 jours devant le ministère du Travail dominicain, les 100 autres sont tous logés dans ce garage à San Cristobal grâce à leurs avocats, Carlos Manuel Sanchez Diaz et Lucas Manuel Sanchez Diaz. Ils sont aussi assistés par des bénévoles haïtiens et dominicains.

Ces migrants réaffirment qu’ils ont été trompés par les responsables de l’Organisation internationale de la migration (OIM), qui ne leur a pas donné le temps de lire les papiers qu’ils leur ont fait signer. Ainsi rejettent-ils d’un revers de main la proposition de l’OIM de recourir au Programme d’aide au retour volontaire et à la réintégration, qui concerne les victimes du séisme de 2010. Ils se disent prêts à retourner volontairement dans leur pays, à condition d’être d’abord dédommagés. En attendant, ils ne souhaitent aller nulle part de peur d’être victimes des sbires de leur ex-patron.

« Cette intervention non sollicitée de l’OIM, qui doit être qualifiée d’interférence dans une lutte ouvrière où la responsabilité d’un ministère est plus qu’évidente, est profondément regrettable », indique pour sa part le responsable de la fondation Zile, Edwin Paraison, estimant qu’il est totalement illogique que ces ressortissants abandonnent un combat légal qui pourrait leur rapporter collectivement 375 000 US$ pour recevoir moins de 20 000 US$ de l’OIM…

Le cabinet Sanchez, dans son désir de venir en aide aux victimes, peu importe leur nationalité, de violations des droits humains en République dominicaine, a jugé bon d’offrir un espace à ces migrants. Les Sanchez promettent d’accompagner les victimes jusqu’au bout, dénonçant la violation de l’article 137 -3 de la Convention sur les droits des migrants approuvée par la République dominicaine. « Cette loi condamne le trafic humain », affirme Carlos Sanchez, qui voit dans cette affaire un trafic de mineurs et une violation de leur droit à l’éducation.

Si l’ambassade d’Haïti à Santo Domingo a été dénoncée pour son inaction, l’ambassadeur Fritz Cinéas explique vouloir gérer la situation en « vrai diplomate ». A en croire ses explications, l’ambassade y travaille « activement », mais « discrètement ». Outre l’aide humanitaire apportée aux victimes, « nous allons continuer à lutter pour nos compatriotes », jure-t-il.

Par ailleurs, nous avons pris connaissance d’une lettre signée par Fritz Cinéas et adressée à la coordonnatrice du PNUD en République dominicaine, pour la mettre en garde contre « le plan orchestré par des organismes de l’Etat dominicain de concert avec l’OIM pour évacuer les protestataires haïtiens », en attendant la seconde audience devant la justice dominicaine prévue pour ce jeudi 31 janvier 2013. Une lettre avec la même teneur aurait également été envoyée au directeur de l’OIM à Genève.

Lire aussi: Près d’un million de dollars US aux 112 immigrants haïtiens

Reconstruire mieux, comme on peut

Beaucoup de maisons ont été détruites par le séisme du 12 janvier 2010 à Morne Lazarre, dans la commune de Pétion-Ville. Boss Matthieu est l’un de ces courageux propriétaires qui reconstruisent leurs maisons avec les moyens du bord.

La maison de Boss Matthieu* sera bientôt habitable à nouveau, trois ans après sa destruction complète lors du séisme de janvier 2010. « Petit à petit, je vais finir par reconstruire ma maison, puisque je n’ai reçu l’aide de personne », indique le quinquagénaire, maçon de son état, tout en mettant la touche finale à l’un des plafonds de sa petite maison de moins de 30 mètres carrés àu Morne Lazarre.

L’odeur du béton toujours dans son coffrage se propage dans les couloirs étroits de la rue Pierre Sully, où plusieurs autres maisons de même facture sont en pleine reconstruction.

Aidé par Lesly, son apprenti, Boss Matthieu fait de son mieux pour que sa nouvelle demeure soit plus solide que la précédente. Il essaie de respecter les consignes fournies à la télévision, bien qu’aucun expert patenté n’aie jusqu’ici évalué son travail. « On y met plus de fer et, à chaque cinq rangées de blocs, on ajoute une poutre, ce qui rend la construction plus solide  », explique-t-il, pour montrer qu’il ne construit pas de la même façon qu’avant le séisme.

Lorsqu’on lui demande s’il a obtenu de la mairie l’autorisation de reconstruire au même endroit, son regard devient fuyant. « Vous voyez que j’ai très peu de moyens… Et, de toute façon, personne ne m’a rien demandé ! »

Après le tremblement de terre, Boss Matthieu s’était refugié, avec sa femme et ses quatre enfants, dans un camp d’hébergement, puis dans une habitation provisoire dans le même quartier. Heureusement, il n’y a pas eu de mort dans sa famille, mais l’effondrement de sa maison de trois étages – dont une partie avait été louée – a tué deux personnes et fait plusieurs blessés aux alentours.  

Tout autour, plusieurs habitations portent encore les stigmates de ce violent séisme. Boss André*, un autre habitant du quartier qui gagne aussi sa vie dans la maçonnerie, est de son côté très sollicité par les infortunés propriétaires de Morne Lazarre. Lui aussi assure qu’il reconstruit les maisons d’une façon plus sécuritaire, bien qu’on ne puisse pas dire que toutes les règles parasismiques sont respectées.

Boss André dit constater que les propriétaires comprennent mieux l’importance d’une construction de qualité. « Avant, ils avaient tendance à toujours vouloir dépenser le moins possible. Mais maintenant ils savent que même si la construction est plus coûteuse, c’est dans leur intérêt », indique ce professionnel, content d’avoir pu bénéficier d’une formation en construction parasismique dispensée par une ONG.

Les deux ouvriers sont d’accord pour dire qu’il y a encore beaucoup d’autres facteurs à prendre en compte pour construire mieux, notamment en ce qui a trait à la qualité des matériaux et à celle des terrains. « Malheureusement, bien des gens continuent de construire n’importe où et n’importe comment », déplorent-ils en chœur, au milieu du tintamarre ambiant.

*Matthieu et André sont des noms d’emprunt