Reconstruire mieux, comme on peut

Beaucoup de maisons ont été détruites par le séisme du 12 janvier 2010 à Morne Lazarre, dans la commune de Pétion-Ville. Boss Matthieu est l’un de ces courageux propriétaires qui reconstruisent leurs maisons avec les moyens du bord.

La maison de Boss Matthieu* sera bientôt habitable à nouveau, trois ans après sa destruction complète lors du séisme de janvier 2010. « Petit à petit, je vais finir par reconstruire ma maison, puisque je n’ai reçu l’aide de personne », indique le quinquagénaire, maçon de son état, tout en mettant la touche finale à l’un des plafonds de sa petite maison de moins de 30 mètres carrés àu Morne Lazarre.

L’odeur du béton toujours dans son coffrage se propage dans les couloirs étroits de la rue Pierre Sully, où plusieurs autres maisons de même facture sont en pleine reconstruction.

Aidé par Lesly, son apprenti, Boss Matthieu fait de son mieux pour que sa nouvelle demeure soit plus solide que la précédente. Il essaie de respecter les consignes fournies à la télévision, bien qu’aucun expert patenté n’aie jusqu’ici évalué son travail. « On y met plus de fer et, à chaque cinq rangées de blocs, on ajoute une poutre, ce qui rend la construction plus solide  », explique-t-il, pour montrer qu’il ne construit pas de la même façon qu’avant le séisme.

Lorsqu’on lui demande s’il a obtenu de la mairie l’autorisation de reconstruire au même endroit, son regard devient fuyant. « Vous voyez que j’ai très peu de moyens… Et, de toute façon, personne ne m’a rien demandé ! »

Après le tremblement de terre, Boss Matthieu s’était refugié, avec sa femme et ses quatre enfants, dans un camp d’hébergement, puis dans une habitation provisoire dans le même quartier. Heureusement, il n’y a pas eu de mort dans sa famille, mais l’effondrement de sa maison de trois étages – dont une partie avait été louée – a tué deux personnes et fait plusieurs blessés aux alentours.  

Tout autour, plusieurs habitations portent encore les stigmates de ce violent séisme. Boss André*, un autre habitant du quartier qui gagne aussi sa vie dans la maçonnerie, est de son côté très sollicité par les infortunés propriétaires de Morne Lazarre. Lui aussi assure qu’il reconstruit les maisons d’une façon plus sécuritaire, bien qu’on ne puisse pas dire que toutes les règles parasismiques sont respectées.

Boss André dit constater que les propriétaires comprennent mieux l’importance d’une construction de qualité. « Avant, ils avaient tendance à toujours vouloir dépenser le moins possible. Mais maintenant ils savent que même si la construction est plus coûteuse, c’est dans leur intérêt », indique ce professionnel, content d’avoir pu bénéficier d’une formation en construction parasismique dispensée par une ONG.

Les deux ouvriers sont d’accord pour dire qu’il y a encore beaucoup d’autres facteurs à prendre en compte pour construire mieux, notamment en ce qui a trait à la qualité des matériaux et à celle des terrains. « Malheureusement, bien des gens continuent de construire n’importe où et n’importe comment », déplorent-ils en chœur, au milieu du tintamarre ambiant.

*Matthieu et André sont des noms d’emprunt

Déficit de services des urgences dans les hôpitaux

La déficience de services des urgences au niveau des hôpitaux dans le pays est un facteur très préoccupant pour plus d’un. Compte tenu de la situation d’insécurité et d’accidents fréquents à laquelle les citoyens sont exposés ces derniers jours, cette préoccupation s’accentue. Que faire en cas d’urgence au beau milieu de la nuit ? La majorité des centres hospitaliers, qu’ils soient privés ou publics, n’ont pas de service des urgences dignes de ce nom.

Il est très inquiétant de ne pas savoir immédiatement où se rendre en cas d’urgence, surtout au beau milieu de la nuit, afin de bénéficier de soins adéquats. Ces derniers jours, beaucoup de gens sont victimes par balle, en se faisant attaquer par des bandits, ou sont victimes d’accidents de la route, devenus de plus en plus fréquents. Souvent l’on ne peut pas se rendre à la structure hospitalière la plus proche, de peur de ne pas y aller en vain. Lors du terrible accident survenu dimanche soir sur la route de Delmas, les victimes ont été transportées jusqu’ à Sarthe, en plaine, pour recevoir les premiers soins. L’une des filles est morte suite à une crise d’asthme, et ses proches estiment qu’elle aurait pu survivre si elle avait pu être transportée plus rapidement à l’hôpital.

L’hôpital La Paix, à Delmas 33, entreprend des démarches pour la mise sur pied d’un service des urgences. Plusieurs partenaires y travaillent, mais ce programme n’est pas encore tout à fait effectif. Le bâtiment inauguré récemment est assez spacieux, mais ne dispose pas encore suffisamment de ressources humaines, selon un responsable. En attendant, les cas en surplus à cet hôpital sont rapidement transférés à l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH).

Tout le monde connaît la situation du plus grand centre hospitalier public d’Haïti, l’HUEH, qui un jour fonctionne, un jour est en grève. Là-bas, la salle des urgences se trouve très souvent dans l’impossibilité de recevoir tous les cas qui s’y présentent. Les services accusent d’ailleurs de sérieuses défaillances : personnel débordé et peu qualifié pour les situations d’urgence, matériel et logistique insuffisants.

Selon une source hospitalière, il y aurait moins de cinq médecins haïtiens à avoir reçu une formation en médecine d’urgence, cette spécialisation n’étant pas offerte en Haïti. De plus, ces services ne sont pas véritablement équipés pour fournir des soins immédiats aux patients dont l’état nécessite une prise en charge rapide.

Le coût exorbitant de la mise en place d’une salle des urgences bien équipée est la première cause avancée par les gestionnaires de la santé pour expliquer la faiblesse des services des urgences dans le pays. La salle des urgences d’un des plus grands centres hospitaliers privés de la capitale, l’hôpital du Canapé-Vert, est fermée depuis le 12 janvier 2010. Les responsables de cet hôpital affirment que la salle est en cours d’aménagement et qu’elle devrait être rouverte d’ici le 15 janvier 2012.

L’hôpital de l’Office d’assurance accidents du travail, maladie et maternité (OFATMA), situé à Cité Militaire, est l’un des rares centres hospitaliers où le service des urgences fonctionnent normalement. Sa salle d’urgence inaugurée le 3 décembre 2004 est en mesure de recevoir n’importe quel cas d’urgence, à n’importe quelle heure et n’est jusqu’à présent jamais débordée; des médecins sont disponibles 24h sur 24, selon son directeur médical, le Dr Mathelier Silvera. En dehors des services de base offerts dans cet hôpital (services de soins liés aux accidents du travail et à la maternité), n’importe quel cas d’urgence y est admis.

Si beaucoup de gens ne fréquentent pas l’OFATMA, c’est en raison de leur ignorance de la qualité des soins offerts là-bas, estime M. Silvera, qui dit avoir malgré tout constaté une fréquentation en augmentation cette saison. Cette structure hospitalière en pleine extension est située dans un quartier pas trop sûr, selon plus d’un. La route qui y mène n’est pas vraiment en bon état. « Suite au cas d’un proche du gouvernement qui y a reçu des soins dernièrement, nous avons établi une entente avec les autorités qui devront bientôt faire des améliorations au niveau de la route », a indiqué le directeur médical.

La santé n’a pas de prix, mais coûte cher pour certains

A l’hôpital Saint-Joseph, comme à l’OFATMA, les urgences fonctionnent certes 24h sur 24; mais la plupart du temps la population de la région métropolitaine ne va pas dans ces hôpitaux privés en raison des coûts exorbitants auxquels leurs poches ne répondent pas. Pourtant, on ne paie pas très cher, selon ce qu’ont expliqué les responsables. La santé n’a pas de prix. Mais pour la plupart des familles, les frais à verser, dès la prise en charge, peuvent être très élevés. Face à la déficience des soins offerts dans les services des urgences des hôpitaux publics haïtiens, cette population se tourne de plus en plus massivement vers des centres hospitaliers gérés par des organisations non gouvernementales étrangères, telles Médecins sans frontières. Même le personnel soignant des hôpitaux publics y envoie parfois des patients qu’ils ne peuvent prendre en charge.

Avec Nathalie Verne

Quel avenir pour l’assainissement par la collecte des déchets plastiques ?

Depuis quelque temps, des hommes et des femmes en quête du pain quotidien se sont lancés dans la collecte des matières plastiques et métalliques destinées à être recyclées. Une initiative de l’Organisation moderne pour la formation d’une population victime (OMFPV), dans l’objectif de lutter contre la pollution de l’environnement et de réduire les risques de maladies dues aux milieux malsains.

C’est à titre de volontaire, que ces citoyens pour la plupart mères et pères de famille, s’étaient livrés à cette activité qui vise non seulement à nettoyer Port-au-Prince, mais aussi à permettre aux plus vulnérables de faire face aux défis scolaires de cette année. Cependant trois mois après, un conflit semble avoir éclaté entre les participants qui réclament une allocation digne et les responsables de l’organisation qui nient avoir promis un salaire à ces gens.

Une manifestation de protestations a eu lieu à Siloe la semaine dernière. Ces manifestants venaient de refuser la somme de soixante gourdes pour leur travail. Visiblement révoltés, ils ont affirmé avoir non seulement collecté des matières plastiques mais aussi nettoyé leur quartier tous les jours et ce, durant trois mois et demi, dans l’espoir de se faire une petite somme d’argent. On les a retrouvés dans des endroits les plus surprenants,par exemple au Portail Léogâne bravant les eaux putrides et nauséabondes.

Pour eux, ce geste de gratification de la part du président de l’OMFPV, est une insulte à leur égard. « D’ailleurs, certains d’entre nous payent plus que ça comme frais de transport », a indiqué une dame, soulignant qu’elle vient chaque jour de Pernier. « De plus, des réunions sont organisées de temps en temps à Pétion-Ville; pour y aller, on paie quand même le transport ! », s’est-elle exclamée expliquant qu’elle a laissé toutes ses activités pour se livrer entièrement à celle-là qui paraissait très prometteuse.

Aucun de ces protestataires n’a caché son mécontentement vis-à-vis du président de l’OMFPV, Jean Hérold Bélidor, qui selon eux, a abusé de leur bonne foi. Ils sont 1.640 personnes dans la zone de Siloé à se livrer à cette activité qui s’étend dans les communes de Pétion-Ville, de Port-au-Prince, de Delmas, de Croix-des-Bouquets, de Thomazeau et de Martissant, selon un chef d’équipe. L’initiative devrait s’étendre à d’autres communes de la région métropolitaine de Port-au-Prince et des villes de province, selon les responsables qui ont affirmé avoir établi un pacte avec une usine de recyclage, ECSA, sise sur la route de l’aéroport qui les récupère au prix de trois gourdes la livre, ce qui équivaut à environ 23 pots.

Pour s’inscrire à cette activité, il a fallu verser la somme de 110 gourdes – 310 gourdes pour les chefs d’équipe – selon ce qu’a rapporté un chef d’équipe. Des équipes de 20 personnes ont été éparpillées un peu partout en vue de collecter ces déchets entreposés ensuite temporairement au local du Lycée de Pétion-Ville afin d’effectuer le tri.

Cette initiative jugée louable par plus d’un n’aurait aucune source de financement, à en croire les propos du président de l’organisation qui a nié avoir promis aux « volontaires » de les rétribuer un salaire. « Ces individus ont consenti à travailler volontairement durant une période de temps indéterminée, en attendant que le projet soit officiellement mis en branle », a-t-il indiqué, précisant que l’organisation est actuellement en quête de financement l’État et des ONG. « Pour le moment, la seule source de financement de ce programme est la vente de ces déchets à une compagnie », a-t-il ajouté.

Les moyens financiers font énormément défaut à l’organisation qui existe depuis 1990, selon M. Bélidor, qui en appelle à l’aide de tout un chacun, particulièrement les autorités établies afin de poursuivre cette démarche qui vise à la propreté de nos centres urbains.

En ce qui concerne la protestation des ouvriers, M. Bélidor a accusé Mme Carmène Céant, la responsable de la zone de Siloé, à qui il a livré la somme de 100.000 gourdes pour gratifier ses ouvriers, d’être l’instigatrice de ce mouvement. Selon lui, ce conflit est dû à un manque de sensibilisation de la part des responsables de zone, qui devraient expliquer à la population qu’il s’agit d’un volontariat. « Nous avons gratifié toutes les zones, et tout le monde est satisfait, il n’y a que la zone de Siloé à avoir protesté », a-t-il ajouté.

Pour Mme Céant, 100.000 gourdes destinées à être distribuées à 1 640 personnes, est un geste révoltant. Elle a affirmé ne pas disposer d’assez d’audace pour faire face à ces gens qui s’attendaient à beaucoup plus. « Même si l’on parle de volontariat, tout le monde sait que tout mouvement volontaire dispose des frais dignes pour gratifier les volontaires; les gens payent le transport, ils salissent leurs vêtements », a-t-elle fait remarquer.

Se trouvant sous les menaces d’une population en colère, elle a dû demander à M. Bélidor de trouver un terrain d’entente. Toujours selon Mme Céant, présentant un papier qui porte la signature de M. Bélidor, ils sont parvenus ensemble à l’accord de verser mille gourdes par personne en plusieurs versements. Cependant M. Bélidor a dénoncé un acte de kidnapping réalisé sur sa personne, par ces manifestants que Mme Céant dirigeait. « On m’a forcé à signer ce pacte de gratification », a-t-il rétorqué, soutenant qu’il ne versera rien de plus à ces gens.

Entre-temps, d’autres citoyens rencontrés à Caradeux ont affirmé n’avoir reçu aucune allocation. Ils ont précisé que toutes les zones sont en révolte contre l’organisation. « M. Bélidor a bel et bien promis de nous payer, lors d’une réunion organisée le 18 Juillet dernier; il avait affirmé que la période de volontariat est passée et que maintenant, nous allons recevoir de l’argent afin d’envoyer nos enfants à l’école, ayant établi un partenariat avec l’USAID », a indiqué une dame, chef d’équipe au niveau de Caradeux.

« Il a réalisé un marathon au lycée national de Pétion-Ville du 17 juillet au 14 aout 2011 », a-t-elle poursuivi, accusant le président de la République qui, selon elle est bien au courant de leur existence et de l’importance du travail qu’ils font. « D’ailleurs, nous avons balayé les environs du palais national, lorsque le président est rentré de Chili, et puis sur nos matériels, il est inscrit : « mouvman tèt kale »», a-t-elle ajouté.

Pour soulager leur frustration, plusieurs d’entre eux iront directement vendre leurs plastiques à la compagnie, ont-ils expliqué.

A Juvénat, des bouteilles plastiques sont éparpillées au bord de la route. Un résident de la zone a expliqué que des ouvriers non gratifiés et découragés les ont abandonnés là depuis des semaines. Il a ajouté que l’activité est actuellement interrompue dans ce quartier. Une femme âgée rencontrée sur les lieux paraissait un peu plus confiante : elle a continué de collecter ces déchets pour les apporter à Christ-Roi. « On m’avait donné une allocation de 350 gourdes pour mes deux mois et demi de travail, avec ça, J’ai pu m’acheter une paire de chaussures pour travailler », a-t-elle ironisé, ajoutant qu’ils attendent l’établissement du nouveau gouvernement pour travailler officiellement.

L’initiative commençait pourtant à porter ses fruits dans la capitale car les déchets plastiques étaient de moins en moins visibles à travers les rues. Néanmoins, ces déchets empilés sous forme d’immondices et d’alluvions représentent la principale source d’insalubrité des agglomérations et contribuent à enlaidir davantage la capitale.