Il est 8 heures du matin, des élèves empruntant la route boueuse de Cavaillon-Bercy se dépêchent de rentrer en classe. Les flaques d’eau laissées par les pluies de Sandy y sont encore présentes. Les routes menant vers les localités, si elles ne sont pas complètement impraticables à cause des éboulements, deviennent très dangereuses pour la circulation. L’école Académie chrétienne de Martineau, logée chez le maire de Cavaillon, à proximité de la ville, accueille très peu d’écoliers ce lundi, en raison du mauvais état des routes. Les agriculteurs Will Pharo et Wilner Elysée père de 11 enfants, dans la cinquantaine, viennent partager leur frustration avec le maire de cette commune. « J’avais plusieurs jardins de pois Congo et de canne à sucre, mais la tempête n’a rien laissé», se plaint M. Elysée dont la source de revenu dépend entièrement de l’agriculture.
« L’agriculture dans notre commune est sévèrement touchée, les gens sont devenus plus vulnérables que jamais », soutient le maire de la commune de Cavaillon, Yves Delva, qui s’inquiète de l’impact de cette situation sur l’économie des paysans. M. Delva ne présente pas un bilan des dégâts, mais il fait état d’une quantité élevée de plantations dévastées par les eaux, et de maisons endommagées dans sa communauté, dont deux écoles fraîchement construites. On peut constater que la quasi-totalité des canaux d’irrigation dans la commune de Cavaillon sont complètement bouchés par des remblais. L’accès à la route menant au plus grand hôpital du Sud, l’hôpital Lumière de Bonne-Fin, est difficile et dangereux. La route de Baradères est impraticable.
Il n’y avait pas de système d’irrigation à Laurent, 5e section communale de la ville des Cayes, dont la situation agricole s’est aggravée après le passage de la tempête Sandy. Certains endroits dans cette localité sont devenus totalement impraticables. Située non loin de Cavaillon, Laurent est une zone très vulnérable, compte tenu de ses nombreux mornes et rivières. Sa production principale, le vétiver, ainsi que les plantations de sorgho, de maïs et de haricots ont sévèrement été touchées, selon le coordonnateur du CASEC de cette localité, Jean Léon Joseph. Les dégâts ont déjà été évalués. L’inondation y a aussi fait 1 mort, détruit 131 maisons et endommagé 349 autres, rapporte, M. Joseph, qui craint que la faim causée par cette situation ne favorise l’insécurité dans la zone. « Après le désastre, plusieurs cas de vols de bétail ont été enregistrés », informe-t-il, indiquant que la distribution de nourriture par les autorités est un palliatif et qu’il faudrait de plus grandes mesures comme la distribution de matériel, de plantules et d’engrais pour limiter les dégâts et venir en aide aux victimes.
A Mercy-Canse, 5e section communale des Cayes, ce sont les plantations de piment qui en ont reçu le plus grand coup. « Cultiver du piment est une activité qui coûte très cher, car il y a beaucoup de dépenses liées à l’entretien de cette culture », explique la responsable du CASEC, madame Marie Bernadette Cius, regrettant que les paysans aient perdu tous leurs efforts. Elle fait remarquer que le paysan est actuellement en proie au découragement et est prêt à sauter sur la première occasion d’abandonner le secteur agricole.
Madame Cius pense que les pertes enregistrées auraient pu être moindres si les habitants des zones éloignées avaient la possibilité de construire des maisons plus solides et non dans des zones à risques. Elle banalise les réponses de certaines institutions et du gouvernement qui consistent seulement à la distribution de quelques kits de nourriture ne parvenant même pas à atteindre les personnes les plus affectées. La responsable plaide pour la décentralisation des biens et services, tout en dénonçant le fait que la majorité des distributions se font dans les villes tandis que ce sont les habitants des zones les plus éloignées qui sont généralement les plus affectés lors de ce genre de catastrophe.
Le 3e maire de l’Ile-à-vache, Forestal Serge, révèle que sa commune, qui venait de vivre 7 mois de sécheresse, a été sévèrement touchée. « Au moins 59 maisons sont complètement détruites et ces gens vivent actuellement sous des tentes distribuées par la DPC et le FAES, indique-t-il. Les paysans ont des difficultés à retrouver des semences pour continuer à planter ».
12 951 familles sinistrées, 90% de l’agriculture détruite, hausse du choléra
En fait, toutes les sections communales du département du Sud présentent des cicatrices laissées par la tempête Sandy. Au total, 12 951 familles sont sinistrées dans tout le département, selon un rapport de la Direction de la protection civile du Sud. 10 950 maisons sont détruites, 1 336 autres sont endommagées, d’après ce même rapport qui montre que les communes de Tiburon, de Saint-Louis-du-Sud et de Camp-Perrin sont les plus affectées avec respectivement 2 622, 2 414 et 1 615 familles sinistrées.
Acteurs et autorités s’entendent sur le fait que l’agriculture est le secteur le plus affecté par le passage de la tempête dans cette région. L’agriculture est détruite à 90%, selon le maire des Cayes, indiquant que les plantations de banane sont détruites à 100%. Un programme cash transfert, révèle ce dernier, sera mis en place par le gouvernement pour permettre aux victimes de recevoir la somme de 1 000 gourdes via leur téléphone portable. Il assure que les ONG travaillent de concert avec les autorités de l’Etat pour apporter des éléments de solution, contrairement aux avis qui font croire que les organisations agissent comme bon leur semble.
Une recrudescence des cas de choléra est signalée par les responsables de différentes sections communales, notamment dans la commune de Maniche. Les difficultés de transport augmentent le risque de mortalité des victimes du choléra, qui, parfois, n’atteignent pas les CTC à temps, selon les autorités locales. Ces derniers estiment que la préoccupation du moment, c’est d’apporter des réponses durables aux problèmes d’infrastructures, d’aider le paysan à remembrer l’agriculture, d’encadrer et de sensibiliser les planteurs à la question de l’environnement et réparer les routes endommagées, en attendant de les construire définitivement.
Des réponses provisoires aux réponses définitives
Le vice-délégué de l’arrondissement d’Aquin (Aquin, Cavaillon et Saint-Louis-du-Sud), Délinois Délia, est d’avis que les problèmes doivent être posés plus en profondeur, mais croit que la population a encore besoin de ces kits d’urgence. D’ailleurs assis à sa table de travail, il prépare lui-même des cartes destinées à être distribuées à la population dans le cadre du programme « Ede pèp » mis en place par le FAES.
Dans la ville des Cayes, la plupart des maisons endommagées sont déjà réparées par leurs propriétaires. Le directeur général de la mairie des Cayes affirme qu’actuellement l’institution est en phase d’évaluation des dégâts. Selon ses propos, la mairie, de concert avec le MTPTC, veut s’attaquer aux problèmes à la base, c’est-à-dire procéder à la démolition de certaines constructions anarchiques et au déblaiement de certains canaux obstrués qui bloquent la circulation de l’eau. L’hôpital Immaculée conception des Cayes, inondé par Sandy, sera reconstruit ailleurs pour éviter qu’il ait à faire face à la même situation, selon le maire. En attendant d’en arriver là, dit-il, des travaux de réaménagement sont en train d’y être réalisés.
Le délégué départemental du Sud-Est, Serge Chéry, révèle que la construction de la route Cavaillon – Bonne-Fin demeure la priorité du gouvernement. « Mais, dit-il, pour cela, il faut un budget. Pour le moment, de manière provisoire, les autorités vont, sous peu, réparer cette route ».
Beaucoup de projets, mais peu de moyens
Curage des systèmes d’irrigation, distribution de semences, organisation de tables sectorielles pour poser les problèmes de l’agriculture, établissement de gardes forestiers, sensibilisation à travers la radio, ce sont, entre autres les mesures qui seront mises en œuvre par la Direction départementale agricole du Sud, selon M. Chéry. Cependant, tout cela devra nécessiter un gros budget dont les sources de financement ne sont pas encore bien identifiées. C’est une perte totale de 700 millions de dollars qui a été enregistrée sur l’ensemble des secteurs dans tout le pays à cause du passage de la tempête Sandy, selon le porte-parole de la présidence Lucien Jura. Le Premier ministre Laurent Lamothe a, quant à lui, indiqué que 12 milliards de dollars sont nécessaires pour aider Haïti à se relever. Le gouvernement avait, au lendemain de la tempête, décrété l’état d’urgence et appelé à l’aide internationale.