Le Sud-Est toujours en état d’urgence, plus d’un mois après Isaac

Un mois après le passage de la tempête tropicale Isaac dans le pays, le Sud-Est, département le plus affecté par cette intempérie, se retrouve dans une situation très précaire. L’état d’urgence qui y a été décrété dans le secteur agricole, sévèrement touché, semble toujours maintenu. Aucune action du gouvernement ni des organisations, pour répondre aux besoins de la population.
 
Mélia Dubreuse a du mal à croire qu’un mois déjà s’est écoulé depuis le passage de la tempête tropicale Isaac, quand elle sort de sa cuisine ce jeudi 27 septembre 2012, pour accueillir ses invités dans sa modeste maison, à  Cap Rouge. Sa cour et ses plantations dévastées par ce violent cyclone donnent l’impression que cela s’est passé hier. Il est 1h 30 p.m., une petite averse de quelques minutes vient de s’abattre sur la localité. Dans son corsage jaune et sa jupe rouge, la tête couverte d’un mouchoir puis d’un chapeau de paille, Mme Dubreuse, dans la cinquantaine, se montre très inquiète pour sa  communauté qui traverse un moment terriblement difficile, à quatre jours de la rentrée scolaire.

 « On serait à l’époque de la récolte du café et de plusieurs autres denrées, si Isaac n’avait pas tout ruiné », confie cette responsable d’organisation de femmes qui n’a plus les moyens d’aider les voisines qui viendront certainement frapper à sa porte. Assis à côté d’elle, en maillot orange et bleu et pantalon noir, teint foncé, crâne rasé, Jules Elère, professeur d’école, regrette que la majorité des parents de la zone ne pourront pas envoyer leurs enfants à l’école cette année, si aucune mesure n’est prise par les autorités pour accompagner ces derniers.

Dans leur entourage, 84 maisons ont été endommagées et 3 autres complètement détruites. Les troncs d’arbres déracinés par la tempête longent encore le bord de la route qui mène à cette section communale de Jacmel, située à une vingtaine de kilomètres du centre-ville. Les habitants de  ce quartier craignent que la période de famine qu’ils sont entrain de vivre actuellement, ne deviennent  insupportable. Les produits de première nécessité déjà en hausse des prix sur le marché deviennent inaccessibles à ces habitants qui n’ont plus d’activité économique. Très peu de paysans ont eu assez de semences en réserve pour refaire leurs jardins, de façon à espérer une prochaine récolte dans trois mois, au moins. Pour ne pas rester les bras croisés, enfants et adultes s’adonnent à la fabrication de charbon de bois à longueur de journée.

Située à près de 800 mètres d’altitude, Cap rouge n’est pas la seule localité dans le Sud-Est à présenter l’aspect d’une zone en état d’urgence. Tout le département, de par sa situation géographique, est très exposé au passage des intempéries. Isaac y a fait 6 morts, 1 disparu et 15 blessés, selon un rapport du Centre d’opération d’urgence départemental, qui fait aussi état de 15 375 familles sinistrées, 1 221 maisons inondées, 2 681 maisons détruites et 11 473 maisons endommagées.

Dans les dix communes du département du Sud-Est, le secteur agricole est, sans aucun doute, le plus affecté par le passage de la tempête. Les cultures les plus touchées sont les plantations de banane plantain, de café, d’arbres fruitiers (avocatiers, arbres véritables, etc.) et celles de saisons (haricot, pois Congo, cultures maraichères, tubercules, etc.), selon une évaluation de la Table sectorielle de concertation du secteur agricole du Sud-Est (TSCSASE). Une perte agricole totale de 4 506 hectares de plantations a été enregistrée, d’après une étude de la Coordination régionale des organisations du Sud-Est (CROSE), selon laquelle les communes les plus touchées sont Marigot, Jacmel, Belle Anse, Cayes Jacmel et Côtes-de-fer. En ce qui à trait à l’élevage et à la pêche, les pertes sont tout aussi considérables : 62 297 têtes de bétail (caprins, bovins, ovins, porcins, équins et volailles) ont été emportés dans l’ensemble du département, notamment dans a partie est (Belle-Anse, Thiotte et Anse-à-Pitres). Dans les huit communes côtières du département, d’énormes pertes en matériel de pêche (nasses, filets, tremails, corallins, yacht, et moteurs) ont été enregistrés.

Un état des lieux réalisé par la Confédération des usagers pour le développement du Sud-Est a mis en évidence les dégâts importants causés par la tempête tropicale sur le réseau des systèmes irrigués du département. Les conséquences de ces dommages peuvent aller jusqu’à rendre ce réseau entièrement dysfonctionnel, selon un rapport de la CROSE qui révèle aussi que des parties du réseau  remplies de sédiments peuvent entraîner l’arrêt de l’alimentation en eau de blocs d’irrigation entiers, ce qui demande beaucoup de travail pour les rendre à nouveau  fonctionnels. Enfin, 282,6 kilomètres de route sont dégradés par le cyclone.

« La tempête Isaac continue encore dans le Sud-Est. Il n’y a pas d’appui réel du gouvernement à l’approche de la rentrée scolaire. Les dispositions prévues par ce dernier n’ont pas vraiment atterri », se désole l’ASEC de Bas Cap Rouge, Ebel Pierre Paul, qui est aussi coordonateur de la Confédération des usagers pour le développement du Sud-Est. Pour lui, le recul d’un mois de la rentrée scolaire n’a servi à rien. 

Seulement 10 millions de gourdes ont été allouées au département pour compenser les dégâts causés par Isaac dans tous les secteurs. « 70% de ce montant a servi à la réhabilitation des routes », souligne M. Pierre Paul, qui estime que les investissements dans le secteur agricole, comme dans des programmes d’irrigation et de conservation de sol, sont beaucoup plus urgents.

Ce dernier fait aussi remarquer que, faute de moyens, les travaux déjà réalisés par la Direction départementale agricole (DDA) au niveau des systèmes d’irrigation sont insignifiants par rapport au degré d’affectation de ces derniers. Les organisations locales et internationales ont effectué plusieurs enquêtes et études, mais aucune action concrète n’a été posée jusqu’ici, selon l’ASEC de Bas Cap Rouge.

 

Jacmel: les T-Shelters, abris provisoires ou permanents ?

La ville de Jacmel est complètement vidée de ses camps d’hébergement deux ans et demi après le séisme de janvier 2010. 360 familles issues des deux derniers camps ont été relogés durant la fin du mois de juillet. Selon les autorités, les 4 000 sinistrés du Sud-Est sont tous retournés à la « vie normale ». Par contre, les relogés des T-Shelters se demandent si ces abris conçus pour être provisoires resteront leur habitation définitive.
 

Pinchinat et Wolf sont les deux derniers des 36 camps de déplacés à être fermés définitivement dans la ville de Jacmel. Les autorités locales, de concert avec l’Organisation internationale de la migration, ont octroyé une enveloppe de 21 000 gourdes à chacune des 360 familles qui y vivaient pour leur permettre de louer une maison.

Plusieurs déplacés du camp de Pinchinat interrogés estiment qu’il était grand temps pour eux de quitter les camps où ils ont vécu dans des  conditions de vie vraiment difficiles. Cependant, personne ne semble leur avoir dit quand ils quitteront ces « abris provisoires ».

« Nous sommes arrivés ici depuis le 16 juin 2011 », confie Mme Claudine, qui a dû arrêter une partie de domino pour accorder cette interview.  Assise autour d’une petite table posée sur la galerie de son T-Shelters en compagnie de trois autres voisins, Claudine fait passer le temps en s’adonnant à son jeu favori. Questions d’oublier un peu ses soucis.

« Il y avait à notre arrivée ici 4 latrines communautaires  qui étaient construites pour trois mois selon les prévisions, mais voilà que plus d’un an après, aucun réaménagement n’y a été réalisé »,  s’indigne-t-elle. « Le comité du camp a fini par les détruire toutes, parce qu’elles puaient et nous empêchaient même de respirer, ajoute l’un de ses compagnons de jeu. Maintenant notre plus grand embarras, c’est que nous n’avons aucun endroit où faire nos besoins ».

Quelques-uns déduisent qu’ils sont là pour une durée indéterminée. « Les responsables ne nous ont donné aucune explication à ce sujet », s’attriste Claudine, qui habitait dans la ville de Jacmel avant le séisme dévastateur de janvier 2010 qui a détruit sa maison où elle et ses quatre enfants ont failli laisser leur peau.

Plus de 350 autres T-Shelters pareils à celui de Claudine sont érigés sur ce grand espace appelé « Village Beaudouin ».  Les familles qui y vivent sont issues des camps Pinchinat, Wolf, Sainte-Hélène, etc. Elles ont été relogées en août 2011 dans ces abris provisoires construits par l’OIM, dans le cadre d’un vaste programme national d’abris financé à hauteur de 13 millions de dollars.

L’un des représentants du village, Mme Sœurette, regrette que près de 2000  personnes soient installées sur ce site sans accompagnement. « Les autorités ont promis de nous fournir de la nourriture et du travail, mais aucune de ces promesses n’a été tenue. A l’heure qu’il est, il n’y a pas d’eau potable ni accès à des soins de santé pour les gens à faibles moyens que nous sommes », se plaint-elle.

Notons que la mairie de Jacmel est, elle-même, logée dans un local provisoire, jusqu’à présent. Le gouvernement haïtien projete d’investir 40 millions de dollars pour rendre la ville de Jacmel plus accessible et améliorer ses infrastructures, afin de la transformer en l’une des destinations touristiques les plus en vue du pays.