Orgasme de ma voix

Dans ce recueil de 75 pages publié en République dominicaine, la plume de Marckenson Jean-Baptiste fait voyager dans un univers d’excitation. On emprunte un terrain glissant menant vers une destination parfaitement inconnue où le plaisir charnel, la joie de la nature, le supplice, la frénésie, la nostalgie d’un pays en souffrance, les souvenirs, les rêves d’un monde meilleur se mêlent pour attiser le lecteur. Le tout est bien ancré dans une histoire harmonieuse qui à la fois pince le coeur et fait mouche.

L’attention est d’abord retenue par les folies exprimées par ce jeune auteur haïtien vivant en République dominicaine.

« Tonbe damou

Se yon lwa bouzen

Ki gouye nan kalbas tèt

Fè ou pile piman pike nan pilon ou

Kite ou k’ap fè alsiyis, soufle anlè »

J’ai lu « Orgasme de ma voix » avec beaucoup d’appétit, un peu comme je lirais un roman policier : l’intrigue est si forte que je ne saurais ne pas aller jusqu’à la fin. Le début de l’oeuvre donne l’impression d’être la peinture des moments intenses vécus par le jeune écrivain de 28 ans, originaire de Belladère, dans ses histoires de coeur, mais on se rend compte tout de suite qu’il va plus loin :

« Je ne descends plus

Aux égouts qui mènent au ciel

Chacun de mes pas orné d’immondices

Sur les îles aromatisées de fétidité

Où s’abreuve une kyrielle de mouches

De l’huile exotique

Cancérigène Intoxiquée Expirée

 

La vie sans chaire est chère

Les fatras aux enchères

La tasse de santé sans thé

L’insécurité sécurise la ville

Non, je ne descends plus A la campagne ?

Je reste là Suave brise de la verdure

Chatouille mon esprit

La fertilité du sol masturbe

La nuit qui troque son sexe au jour

Pour éjaculer le paradis

Ou je pourrais inspirer de vers propres »

C’est en fait la présentation de ses observations les plus subtiles décrites dans un langage sensuel, presque malsain. On verra que même l’expression de la nostalgie provoquée par les souvenirs terribles de la situation politique, économique et sociale de son pays natale n’est épargnée de son vocabulaire poétique acerbe.

Sa passion pour l’écriture elle-même explose à travers cette oeuvre. Son regard porté sur le plaisir et les douleurs de l’existence est comparable à ses flammes d’amour pour le sexe opposé. Ces flammes qui peuvent prendre diverses formes. Ces flammes qui peuvent réchauffer le coeur, mais qui peuvent également devenir, quelques fois, très brûlantes.

On aurait pu dire que l’auteur de Première Affiche – un premier recueil de poésies publié en 2007 – est obsédé par l’érotisme dont la trace est présente dans toutes ses expressions. Ce qui fait l’originalité de cet ouvrage constitué de 73 textes en tout : poème, préface, mot de l’auteur et avant-propos, en français et en créole, tous maculés de sensibilité et de passion.

Des comparaisons qui laissent sans voix. Des mots qui peuvent exciter jusqu’à l’orgasme. « Orgasme de ma voix » sera en vente signature à Livres en folie 2013.

L’odeur du café de Dany Laferrière

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Le personnage principal de cette œuvre est l’auteur lui-même, Dany Laferrière, qui en est également le narrateur. Vieux os, âgé de dix ans nous fait voyager à une petite ville de campagne, Petit-Goâve, pour rencontrer sa grand-mère Da, deuxième personnage de ce merveilleux récit, à laquelle il est profondément attaché et au pied de laquelle il est souvent assis sur une galerie ensoleillée.

Outre ces deux personnages principaux, on peut considérer le café comme l’un des principaux personnages de ce roman. Ce fameux café qui revient de temps en temps tout au cours de l’histoire peut même être vu comme un personnage éponyme par le fait qu’il donne son nom au titre de l’œuvre.

Enfin, Marquis, le chien de Dany, et les fourmis qu’il observe de temps en temps, accompagnent le narrateur du début à la fin et ont donc une place de choix dans le récit.

Dany Laferrière montre sa vision personnelle de la réalité. Il décrit le présent de façon objective et, en même temps, cherche à accrocher son public en l’amenant à réfléchir sur soi et sur le monde qui l’entoure. De là, on peut dire que le narrateur présente l’aspect d’un petit garçon tantôt ouvert, tantôt replié sur lui-même.

J’apprécie le sens du  détail du narrateur âgé de dix ans, qui  s’intéresse aux grandes préoccupations de la vie, à la vie, à la mort, aux rêves, à la magie, aussi bien qu’aux fourmis et à ses jeux d’enfants. Sa passion pour les choses simples et l’attention qu’il porte à la psychologie des personnages qu’il peint sont intrigantes. Dans ce roman, il n’y a pas de place pour l’imaginaire, tandis que les images sont abondantes. On a l’impression de lire un journal intime écrit dans un langage poétique avec des jeux de mots qui transperce le cœur et un humour qui fait mouche.

C’est une histoire racontée en de tout petit fragment comme les petites pièces d’un jeu de puzzle que le lecteur doit assembler pour former une grande image. Une façon bien originale pour Dany de raconter la vie de son village et son enfance dans un bouleversement temporel.

Bien que n’étant pas une autobiographie à proprement parler, cette œuvre permet au lecteur de se familiariser avec le petit garçon « observateur » que fut Dany Laferrière, lors de ses dix ans. On parvient à se familiariser avec presque toutes la famille de l’auteur : Sa grand’mère Da qui prépare le café à longueur de journée sur la galerie de sa maison ; sa mère Marie, l’ainée des cinq filles de Da ; ses tantes Renée, Gilberte, Raymonde et Ninine, qui ont l’habitude de s’assoir, elles aussi, sur la galerie, vers la fin de l’après midi, chacune dans son coin préféré et Vava, son brulant premier amour.

On se familiarise également avec la ville natale de l’auteur : Petit-Goâve, qu’il parvient à peindre dans le plus léger détail, si bien qu’on a l’impression d’y être déjà allé.

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Dany Laferrière avec des élè de Saint-louis de Bourdon, lors d’une conférence organisé à l’Institution Saint-Louis de Gonzague, Delmas 33, en 2012.